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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Zemmour, le Président et le discours victimaire de l’extrême-droite (CCIF)

5 Mai 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie, #Extrême-droite, #Macron et LREM

Dans une info publiée ce 3 mai, le blog identitaire Valeurs Actuelles a annoncé qu’Emmanuel Macron aurait « appelé Éric Zemmour pour lui apporter son soutien après son agression », et ce près de 24 heures après la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux. Selon le site d’extrême-droite, ce serait la première fois qu’ils se parlent. Si on peut s’interroger sur la source de cette information, présentée comme exclusive dans le magazine radical désormais célèbre pour avoir régulièrement diffusé et relayé des thèses racistes dans l’espace médiatique, cette annonce n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux. 

Il est probable, vu la proximité idéologique entre Valeurs Actuelles et Zemmour, que ce dernier se soit empressé, après avoir raccroché avec Emmanuel Macron, d’annoncer le scoop à la rédaction de l’hebdomadaire. Et si le président apportait son soutien à toutes les personnes menacées et agressées dans notre pays, ce scoop n’aurait pas eu beaucoup d’intérêt. Mais ce n’est pas le cas, et en réalité, peu importe comment cette information est née : pour le moment, l’Élysée ne l’a pas démentie, et cela se comprend notamment dans le virage radical qu’effectue le président de la République depuis plusieurs mois.

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron fait les yeux doux au lectorat de la droite extrême. L’un des exemples les plus polémiques fut celui de son entretien accordé à Valeurs Actuelles en octobre 2019, quelques jours après la violente agression de Julien Odoul envers Fatima E., lors du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Passons sur l’embarras provoqué par l’existence même de cet entretien (même au sein de l’Élysée), et admettons qu’il soit normal qu’un président s’adresse à un lectorat qui ne partagerait pas ses idées : le problème est véritablement dans la substance même de cet entretien, habile exercice d’équilibriste destiné à ouvrir une brèche vers l’électorat de Marine Le Pen.

Alors que l’entourage du président assurait que ce dernier condamnait l’attitude de Julien Odoul, ce qui apparaît dans ces « confidences explosives » est d’une tout autre nature : une abjecte inversion des rôles, qui fait de la victime un bourreau et inversement. Emmanuel Macron y prétend que Julien Odoul se serait « fait coincer » tout en affirmant qu’il ne voulait pas rentrer dans ce débat, afin d’éviter d’être piégé entre « deux périls » : le communautarisme et le Rassemblement national. Or en présentant Julien Odoul comme une victime, il prenait clairement position et participait doublement à la violence qui a été exercée l’encontre de Fatima E., tout en validant le discours qui consistait à l’assimiler à « l’islam politique ».

Le discours victimaire de l’extrême-droite

On connaît le chantage à la « victimisation » et cet argument n’a cessé d’être dirigé, dans les discours dominants, contre les associations qui luttent pour le droit des minorités. Zemmour dira même des femmes qui portent le foulard qu’elles « s’auto-discriminent » (!). Cette rhétorique fallacieuse ne vise qu’à minimiser et invisibiliser la violence et les discriminations, souvent institutionnelles, qui touchent celles et ceux qui en sont victimes, au quotidien, dans leur vie de tous les jours, dans leur emploi, leur éducation, et dans beaucoup d’étapes de leur vie ; ce qui les détruit souvent à petits feux. Ce sont des victimes, au sens tout simplement juridique du terme, et la victimologie leur donne une plus grande place, notamment dans l’encadrement juridique et psychologique, ce qui est très exactement le travail des associations de défense des droits humains. Ces victimes, au moment où elles déposent plainte, ne sont pas en train de se « plaindre » ou de « pleurnicher », comme on l’entend également dans cette rhétorique ignoble, mais deviennent des réclamantes et des réclamants qui transforment ce qu’elles ont subi en action de justice

Or aujourd’hui, nous dit Éric Zemmour (et ses relais médiatiques), il existe une nouvelle minorité, qui serait « l’homme blanc hétérosexuel » (parfois il ajoutera « catholique », de quoi ravir Valeurs Actuelles, Résistance Républicaine et autres rédactions de la fachosphère, pour qui le principe laïque n’est opérant que lorsqu’il est question des musulmans). Dans son discours à la Convention de la Droite (septembre 2019), il ira jusqu’à affirmer, en identifiant le public de la salle aux Indiens d’Amérique exterminés par les colons, qu’on serait en train d’assister aujourd’hui en France à un projet d’extermination de cet homme blanc hétérosexuel.

L’inversion bourreau-victime est ici à son comble, et on assiste véritablement, cette fois, à un discours victimaire, dont la définition est connue : est victimaire celui qui se croit victime (et s’en sert en l’occurrence pour construire tout son argumentaire). C’est très exactement la rhétorique de Zemmour : fustiger les médias (qui seraient « islamogauchistes ») tout en se voyant offrir une tribune régulière dans un média mainstream (CNews) ; quelques jours après avoir été condamné une deuxième fois pour incitation à la haine raciale. Prétendre qu’il ne peut plus rien dire sur le plateau même où le micro lui est tendu. Prétendre qu’il assiste à une colonisation de la France alors que celle-ci est toujours dans une attitude néocoloniale vis-à-vis de certains pays d’Afrique. Prétendre s’inquiéter pour l’homme blanc alors celui-ci ne s’est jamais vu refuser une école, un travail ou un logement en raison de sa couleur.

Si l’homme blanc est victime aujourd’hui, ce serait d’une seule chose : de la prise de conscience globale de la part des véritables minorités que celles-ci vivent dans un État de droit et de libertés et que l’identité française peut s’ajouter à la leur Histoire, leur origine, leurs convictions sans les détruire.

Éric Zemmour est-il une victime ?

La particularité des agressions médiatisées est souvent la même : elles ont été filmées, et en l’occurrence par l’agresseur lui-même. Il est probable qu’en raison de ses nombreux propos racistes, Zemmour ait déjà fait, sans que ça ne soit filmé, l’objet d’insultes et de menaces dans la rue. Ces attitudes sont à condamner. Dans la vidéo en question, il est difficile de ne pas voir un Zemmour en position de faiblesse, ce qui peut provoquer de la peine même chez ses ennemis qui abhorrent l’humiliation des personnes et qui soutiennent le combat des idées.

En plus de donner de la matière à des rédactions qui font leur business par l’attrape-clics, la polémique et la provocation, et qui instrumentalisent déjà cette agression à des fins idéologiques de banalisation du discours raciste, ce type d’image, en particulier pendant cette période de crise sanitaire, choque et rappelle qu’il faut renforcer notre humanité, et que le combat contre le racisme ne peut s’accompagner par un avilissement des êtres et des corps.

Après l’appel du président, revoici Zemmour, batteries pleines, paré à de nouvelles aventures islamophobes. Cet incident a renforcé son argumentaire, auquel s’ajoute un concept dont il aurait aujourd’hui expérimenté le prototype : l’islamo-racaille. « Ce qui m’est arrivé, ça arrive tout le temps, tous les jours, depuis des années, depuis des décennies, à des millions de Français » déclare-t-il, dans cette nouvelle attitude victimaire qui veut assimiler sa personne (condamnée, on le rappelle, à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale) aux fameux « hommes blancs hétérosexuels », qui seraient des millions, mais qui en même temps constitueraient sa nouvelle minorité écrasée, pourchassée quotidiennement dans la rue.

Le point de vue de Daniel Scheidermann :

 

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