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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Contre le voile à l’université, ou contre quelques étudiantes ?

9 Mars 2015 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie, #Informations militantes

Madame la secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes,

Nous appartenons à la communauté universitaire et sommes tous en charge d’une mission de service public qui, au-delà de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, participe à construire un espace démocratique qui au jour le jour s’invente comme un espace de dialogues, de débats ; un espace traversé d’antagonismes (y compris avec nos présidences et conseils d’administration), mais aussi de solidarités, un espace ouvert sur le monde dont nous héritons en commun, une agora qui se recrée à chaque heure dans nos amphis, dans nos «cafèts», sur nos parvis ou les murs de nos campus, et ce, malgré les conditions matérielles déplorables qui sont celles de nos institutions. S’il y a bien un lieu dans notre République, où la liberté de pensée et d’expression, ou plutôt, le droit de cité se vit ici et maintenant, c’est encore au sein des universités - et même les tentatives qui ont visé à mettre à mal cette liberté autogérée (en envoyant ces dernières années les forces de l’ordre traditionnellement interdites dans nos espaces en cas de conflit, de contestation ou d’occupation) ne sont pas parvenues à nous désespérer de penser la complexité du monde social et les enjeux du vivre en commun, comme à en expérimenter les conditions possibles.

Or, vous ne pouvez ignorer que depuis plus de dix ans le voile, sur lequel vous vous exprimiez encore récemment, est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes - définissant pour les femmes de bonnes manières de se libérer, blanchissant une partie des associations féministes en les dédouanant de s’engager contre le racisme y compris dans leurs propres rangs et, inversement, en permettant à des associations dites «communautaires» d’assimiler le féminisme au bras armé de vos politiques islamophobes. La classe politique et votre parti, en exposant aux discriminations les plus brutales des femmes portant le voile (lynchages de jeunes filles, de femmes enceintes et de mères, discriminations à l’embauche, exclusions des écoles publiques, etc.), ont fait le lit des nationalismes et doivent être tenus pour responsables d’une situation de tension sociale sans précédent.

Vous avez déclaré, en tant que secrétaire d’Etat aux droits des femmes, être «contre le voile à l’université». Indépendamment de l’inactualité nauséabonde d’une telle prise de position, comment pouvez-vous, «au nom des droits des femmes», vous exprimer contre la liberté et l’égalité entre toutes les femmes ? Comment pouvez-vous considérer qu’il serait pertinent dans ce cadre d’exposer une partie des étudiantes aux rappels à l’ordre des instances dirigeantes des universités ou de quelques mandarins en mal de «mission civilisatrice», pourvus d’un droit discrétionnaire à exclure et à réglementer un droit de cité inaliénable et non négociable ?

Vous acceptez ainsi d’être la porte-parole - non pas des femmes - mais d’entrepreneurs de leur seule carrière politique et médiatique, pourvoyeurs de haine et de fantasme. A l’opposé d’une telle rhétorique, en tant que secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes, votre mission et votre responsabilité, si vous souhaitez vous intéresser à l’université, seraient pourtant des plus nobles mais aussi des plus considérables : depuis des années, aucune politique publique n’a souhaité financer à hauteur de nos besoins un véritable plan national de lutte contre le harcèlement sexuel et le sexisme à l’université, aucune action efficace, pérenne, n’a visé à lutter contre les exclusions et la paupérisation des étudiantes ou des personnels administratifs - qui sont en grande majorité des femmes, et qui assurent, au jour le jour, nos conditions d’études.

Vous voulez œuvrer pour le droit des femmes à l’université ? Remettez en place un service de médecine universitaire digne de ce nom à même de fournir une information et des soins notamment relatifs aux droits reproductifs toujours plus menacés par la «crise» ; assurez-vous que les services sociaux à destination des étudiantes et des personnels ne soient pas systématiquement la première ligne budgétaire que nos présidents et CA suppriment, que des transports publics desservent nos campus dans des conditions acceptables et que des logements décents pour étudiantes soient construits en nombre suffisant, ou même, ouvrez des crèches dans nos universités pour permettre à toutes les femmes de venir travailler, étudier et se former.

Enfin, vous voulez discuter des droits des femmes, de liberté, d’égalité ? Des questions de genre, des droits des minorités sexuelles et raciales, des rapports sociaux tels qu’ils s’articulent aux politiques néolibérales de destruction des services publics et de privatisation des biens communs (qui transforment le savoir en marchandise par le biais de politiques que le PS relaie depuis des années) ? Venez dans nos cours et nos séminaires, dans nos départements, nos équipes de recherches, écoutez les enseignantes, les étudiantes, voilées, pas voilées, qui débattent, construisent ensemble une pensée critique à même de servir les connaissances qui nourriront les bibliothèques de demain comme les luttes menées en commun pour faire advenir un monde meilleur dont vous semblez avoir déjà fait le deuil.

Parmi les signataires :Catherine Achin Professeure des universités, Paris-IX, Jean Baubérot Professeur des universités émérite, EPHE, Hourya Bentouhami Maîtresse de conférences, université Jean- Jaurès, Laure Bereni Chargée de recherches, CNRS-Centre Maurice- Halbwachs, EHESS, Ahmed Boubeker Professeur des universités, université Paul- Verlaine, Judith Butler Université de Berkeley, Isabelle Clair Chargée de recherches, CNRS-Cresppa, Paris-VIII, Paris-X, Sonia Dayan-Herzbrun Professeure des universités émérite, Paris-VII, Christine Delphy Directrice de recherches émérite, CNRS-Triangle, Leyla Dakhli Chargée de recherches, CNRS-Centre Marc-Bloch, Elsa Dorlin Professeure des universités, Paris-VIII, Eric Fassin Professeur des universités, Paris-VIII, Nacira Guénif-Souilamas Professeure des universités, Paris-VIII, Abdellali Hajjat Maître de conférences, Paris-X, Chantal Jaquet Professeure des universités, Paris-I Nicolas Jounin Maître de conférences en disponibilité, Paris-VIII, Marwan Mohammed Chargé de recherches, CNRS-Centre Maurice-Halbwachs, Judith Revel Professeure des universités, Paris-X Maboula Soumahoro Maîtresse de conférences, université de Tours, Julien Théry Professeur des universités, université Paul-Valéry, Montpellier, Louis-Georges Tin Maître de conférences, université d’Orléans, Sylvie Tissot Professeure des universités, Paris-VIII.

Les autres signataires sur :https://www.change.org/p/madame-pascale-boistard-secrétaire-d-etat-déléguée-aux-droits-des-femmes-lettre-ouverte-à-la-secrétaire-d-etat-aux-droits-des-femmes

 

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